Tout au long de l’histoire de l’humanité et selon les cultures, la folie a suscité des réponses sociales, mais la psychiatrie (étymologiquement la médecine de l’esprit) ne se constitue véritablement comme « médecine spéciale » et ne prend son nom, en Allemagne d’abord (Reil, 1808 ; Heinroth, 1818), puis dans le reste du monde, qu’au début du XIXe siècle.
Par souci de clarté, ces deux siècles ont été divisés en six périodes : l’âge des pionniers, le tournant 1850, l’âge positif, l’âge de la psychopathologie et des électrochocs, l’âge des militants, l’âge économique. Pour les pionniers, il s’agit d’ouvrir un domaine nouveau d’expertise, en arrachant les aliénés aux empiriques, aux hommes de loi, aux philosophes, et aux prêtres, et en les confiant à des médecins spécialistes, capables de les reconnaître et de les soigner. Vers 1850, apparaît le souci d’isoler les causes, de préciser l’évolution et de prévenir une maladie assimilée soit à une lésion du corps, soit à une dégénérescence du type primitif de l’humanité. Les psychiatres de l’âge positif (1870-1900) cherchent à dépasser des conceptions romantiques, encore imprégnées de références religieuses. Ils veulent inscrire la psychiatrie dans le champ d’une médecine ancrée définitivement dans les sciences de la nature. Mais, alors que la psychiatrie s’étend à des pathologies moins graves, ils abandonnent le traitement moral des époques précédentes et laissent les conditions de vie des grands malades mentaux se détériorer. L’asile, synonyme, au départ, d’un lieu d’accueil et de soins « philanthropiques », devient une institution carcérale. Les quarante premières années du XXe siècle forment une période intermédiaire. La psychopathologie, c’est-à-dire une tentative d’expliquer les mécanismes des maladies mentales, commence à se développer inspirant des innovations institutionnelles, mais c’est aussi la période des traitements de choc, de la psychochirurgie et du développement d’idéologies eugénistes. Contemporains des luttes pour les droits civiques des minorités et contre les différentes formes d’oppression, les militants de l’après-guerre apportent des modifications profondes dans les relations entre les malades et ceux qui sont chargés de prendre soin d’eux. Ils promeuvent aussi des changements considérables au sein des établissements psychiatriques traditionnels et un éclatement de l’asile en un réseau d’institutions « alternatives » et diversifiées. Soutenue par l’expansion économique, cette période prend fin avec la récession. Le souci de maîtriser les coûts et d’évaluer l’efficacité des pratiques devient alors prédominant. L’âge économique, dans lequel nous sommes entrés, est marqué par un retour aux modèles médicalisés de l’âge positif qui s’appuient sur les progrès de la psychopharmacologie de ce dernier demi-siècle. Comme toute périodisation, celle-ci est arbitraire. La décomposition en stades d’une évolution continue comporte toujours une part d’artifice. Pour la corriger, il faudra procéder à des anticipations et à des retours en arrière. Ainsi les pionniers, s’ils sont surtout soucieux d’organiser les institutions du « traitement moral » et la loi qui les régit, n’oublient pas d’examiner, vivants ou morts, les corps de leurs malades et préfigurent l’âge positif. Magnan, qui appartient à cet âge des classifications objectives et des précisions séméiologiques, est néanmoins l’héritier du métaphysicien Morel. Comme son contemporain, le neurologue Déjerine, il se préoccupe de psychothérapie. Élève de Brücke et de Charcot, issu donc de la neurologie la plus positive qui soit, Freud, tout en réclamant pour la psychanalyse le statut de science naturelle, octroie aux poètes et aux romanciers une qualité de précurseurs de sa nouvelle psychologie et laisse parfois transparaître, jusque dans ses essais théoriques les plus rigoureux, les influences de la philosophie et de l’esthétique romantique. C’est cet aspect de son œuvre que privilégient les « militants » lorsqu’ils cherchent dans la psychanalyse l’inspiration d’un nouvel humanisme, tout en utilisant abondamment les médicaments psychotropes.
“I like the things around me to be beautiful & slightly dreamy, with a feeling of worldliness.”
Bibliographie
Hochmann, Jacques (2011-02-08T22:58:59). Histoire de la psychiatrie: « Que sais-je ? » n° 1428 (French Edition). Presses Universitaires de France.
Kenneth S. Kendler, M.D., Eric J. Engstrom, Ph.D. Kahlbaum, Hecker, and Kraepelin and the Transition From Psychiatric Symptom Complexes to Empirical Disease Forms. Am J Psychiatry 2017; 174:102–109; doi: 10.1176/appi.ajp.2016.16030375