La thérapie des schémas est une méthode originale et intégrative développée par Young et ses collègues (Young, 1990, 1999).
Elle est une expansion des concepts et des traitements cognitivo-comportementaux habituels. Elle rassemble des éléments issus de différentes écoles (la thérapie cognitivo-comportementale, la théorie de l’attachement, la Gestalt-thérapie, le constructivisme et la psychanalyse) en un modèle conceptuel et thérapeutique riche et unificateur. La schéma-thérapie propose un nouveau système de psychothérapie, particulièrement adapté aux patients souffrant de troubles psychologiques chroniques très enracinés, considérés jusqu’alors comme difficiles à traiter. Dans notre expérience clinique, les patients atteints de troubles de personnalité caractérisés, ainsi que ceux présentant des troubles de l’Axe I sous-tendus par des problèmes caractériels importants, répondent extrêmement bien à la thérapie centrée sur les schémas (parfois associée à d’autres approches thérapeutiques).
De la thérapie cognitive à la thérapie des schémas
Pour expliciter les raisons qui ont conduit Young à développer la thérapie des schémas, il est important d’examiner le champ de la thérapie cognitive et comportementale. Les chercheurs et les praticiens cognitivo-comportementalistes ont réalisé d’importants progrès dans le développement de traitements psychologiques efficaces pour les troubles de l’Axe I, notamment les troubles dépressifs, les troubles anxieux, les troubles sexuels, les troubles des conduites alimentaires, les troubles somatoformes et les troubles liés à l’abus de substances. Ces traitements sont généralement de courte durée (environ 20 séances) et sont centrés sur la modification des symptômes, le développement d’habiletés et la résolution des problèmes de la vie du patient.
Cependant, bien que de nombreux patients puissent être aidés par ces traitements, pour beaucoup d’autres, il n’en est rien. Les études de suivi thérapeutique montrent généralement des taux de succès élevés (Barlow, 2001) ; dans la dépression par exemple, le taux de succès après traitement initial est de 60 %. Mais le taux de rechute est d’environ 30 % après un an (Young, Weinberger et Beck, 2001), ce qui laisse un nombre significativement élevé de patients pour lesquels le traitement n’a pas été efficace. Les patients présentant des troubles de personnalité et des problèmes caractériels répondent généralement mal aux traitements cognitivo-comportementaux classiques (Beck, Freeman et al., 1990). La thérapie comporte-mentale et cognitive actuelle doit accepter le défi de développer des méthodes efficaces pour gérer ces patients chroniques, difficiles à traiter. Les troubles de personnalité peuvent mettre en échec la thérapie cognitive et comportementale classique pour plusieurs raisons. Certains patients nécessitent un traitement pour des symptômes de l’Axe I, tels que l’anxiété ou la dépression, mais ils ne parviennent pas à progresser au cours de la thérapie ou alors ils rechutent une fois le traitement terminé. Prenons l’exemple d’une patiente qui consulte pour le traitement d’une agoraphobie. On lui propose un programme de contrôle respiratoire, de restructuration des idées catastrophiques et d’exposition progressive aux situations phobogènes ; elle réduit alors de façon importante sa crainte des symptômes de panique et surmonte son évitement dans de nombreuses situations. Cependant, une fois le traitement terminé, la patiente rechute de son agoraphobie. Une vie entière de dépendance, avec des sentiments de vulnérabilité et d’incompétence – ce que nous appelons ses schémas de dépendance et de vulnérabilité – l’empêche de s’aventurer seule dans le monde. Elle manque de confiance en elle pour prendre des décisions, n’a pas réussi à acquérir des habiletés telles que la conduite automobile, la gestion de son entourage, la gestion de son argent et le choix de son avenir. Elle préfère laisser ses proches décider à sa place. Sans l’aide du thérapeute, la patiente est incapable de maintenir les bénéfices thérapeutiques obtenus. D’autres patients viennent en thérapie comportementale et cognitive pour le traitement de symptômes de l’Axe I, mais après la cure de ces symptômes, il apparaît que le thérapeute doit se centrer sur des problèmes caractériels. Par exemple, un patient entreprend une thérapie classique pour un trouble obsessionnel compulsif. Après un programme comportemental d’exposition avec prévention de la réponse, il parvient rapidement à supprimer les pensées obsédantes et les rituels compulsifs qui envahissaient sa vie. Lorsque ces symptômes de l’Axe I ont disparu, et qu’il a disposé de suffisamment de temps pour reprendre d’autres activités, il doit faire face à l’absence quasi complète de vie sociale qui résulte de son mode de vie solitaire. Ce patient a un schéma d’imperfection, auquel il s’adapte en évitant les situations sociales. Il est tellement sensible au rejet et aux affronts qu’il perçoit que, depuis l’enfance, il évite la plupart des relations interpersonnelles. Il devra continuer à se battre avec son éternel évitement pour construire une vie sociale satisfaisante. Enfin, d’autres patients viennent en thérapie comportementale et cognitive sans symptôme spécifique pouvant servir de cible à la thérapie. Leurs problèmes sont vagues, diffus, sans facteurs déclenchants nets. Ils ressentent que quelque chose d’important est absent de leur vie ou va de travers. Ces patients ont en fait des problèmes caractériels : ils sont à la recherche d’un traitement pour des difficultés chroniques dans leurs relations interpersonnelles ou professionnelles. Comme ils n’ont aucun symptôme significatif de l’Axe I, ou qu’ils en ont au contraire trop, la thérapie cognitive et comportementale est difficile à utiliser chez eux.
Les patients présentant des troubles de la personnalité ne répondent pas à certaines conditions de la thérapie cognitivo-comportementale classique. La thérapie cognitivo-comportementale classique pose plusieurs conditions que les patients porteurs des troubles de la personnalité ne peuvent pas toujours remplir. Ces patients présentent des caractéristiques psychologiques qui les distinguent des cas plus simples de l’Axe I, faisant d’eux des sujets peu propices au traitement cognitif et comportemental.
a. En effet, le patient doit tout d’abord pouvoir adhérer aux procédures thérapeutiques : la thérapie cognitive et comportementale classique suppose que les patients soient motivés pour soigner leurs symptômes, mettre en place des habiletés, résoudre leurs problèmes actuels. Stimulés par le renforcement positif, ils devront se conformer aux procédures thérapeutiques nécessaires. Cependant, dans le cadre des troubles de la personnalité, la motivation et l’approche de la thérapie sont complexes, et les patients sont souvent récalcitrants ou incapables d’adhérer aux techniques de la thérapie comportementale et cognitive. Il arrive qu’ils n’accomplissent pas les tâches assignées. Ils font parfois preuve d’une grande réticence pour apprendre des stratégies d’autocontrôle (schémas de manque de limites, par exemple). Ils sont souvent davantage motivés pour obtenir le réconfort du thérapeute que pour apprendre des stratégies qui pourraient leur rendre service.
b. Autre condition de la thérapie cognitive et comportementale classique : avec un peu d’entraînement, les patients doivent avoir accès à leurs cognitions et à leurs émotions, et être capables de les verbaliser dans la thérapie. Cependant, les patients présentant des troubles de personnalité sont souvent incapables de le faire. Ils se montrent fréquemment détachés de leurs émotions, à cause d’un évitement cognitif et affectif. Ils bloquent les pensées et les images qui les perturbent. Ils évitent l’introspection. Ils évitent les souvenirs pénibles et les émotions négatives, ainsi que beaucoup de comportements et de situations qui leur permettraient de progresser. Des émotions négatives telles que l’anxiété ou la dépression sont activées par des stimulus liés à des souvenirs d’enfance, rendant impérieux l’évitement de ces stimulus dans le but de se soustaire à l’activation émotionnelle. L’évitement devient une stratégie habituelle d’adaptation aux émotions négatives, extrêmement difficile à modifier. De plus, les sujets ayant des schémas de dépendance aux autres peuvent se focaliser par excès sur la recherche de ce que veut le thérapeute et, de ce fait, éprouver des difficultés à parler de leurs propres pensées et émotions. c. Autre condition : les patients parviennent à modifier leurs comportements et leurs cognitions dysfonctionnels grâce à des méthodes telles que l’analyse empirique, l’analyse logique, l’expérimentation, les étapes progressives et la répétition. Or, dans notre expérience, les patients présentant des troubles de personnalité ont des pensées irrationnelles et des scénarios de vie autodéfaitistes extrêmement résistants aux techniques cognitivo-comportementales. Après des mois de thérapie, il n’y a souvent aucune amélioration durable. d. Les patients présentant des troubles de personnalité sont particulièrement rigides sur le plan psychologique et répondent généralement peu rapidement aux techniques de la thérapie cognitivo-comportementale classique. La rigidité est une caractéristique des troubles de personnalité (American Psychiatric Association, 1994, p. 633). Les problèmes de ces patients sont égo-syntoniques : leurs scénarios de vie autodéfaitistes font partie d’eux-mêmes et ils ne s’imaginent pas les modifier. Ces troubles font partie du cœur de leur personnalité et les changer serait pour eux voir mourir une partie de leur être. Lorsqu’on leur propose une remise en question, ces patients s’accrochent de façon rigide et parfois agressive à ce qu’ils ont toujours considéré comme des vérités absolues pour eux-mêmes, et pour le monde qui les entoure. e. La thérapie cognitive et comportementale présuppose également que les patients puissent établir une relation collaborative avec le thérapeute en quelques séances. Les traitements cognitivo-comportementaux ne s’intéressent guère aux difficultés rencontrées dans le cadre de la relation thérapeutique. De telles difficultés sont plutôt considérées comme des obstacles qui doivent être surmontés pour obtenir la compliance du patient vis-à-vis des procédures thérapeutiques. La relation thérapeutique n’est généralement pas considérée comme un « ingrédient actif » du traitement. Cependant, les patients porteurs de troubles de la personnalité ont souvent de la difficulté à former une alliance thérapeutique, ce qui reflète les difficultés relationnelles qu’ils rencontrent en dehors de la thérapie. Beaucoup de patients difficiles à traiter ont eu des relations interpersonnelles dysfonctionnelles qui ont commencé tôt dans leur vie. Les perturbations au long cours dans les relations avec les proches sont une autre caractéristique des troubles de personnalité (Million, 1981). Ces patients éprouvent souvent des difficultés à former des relations thérapeutiques sûres. Certains d’entre eux, notamment ceux à personnalité borderline ou dépendante, sont tellement occupés à essayer d’obtenir du thérapeute qu’il comble leurs besoins affectifs, qu’ils sont souvent incapables de se concentrer sur leur vie personnelle en dehors de la thérapie. D’autres, tels que ceux ayant des personnalités narcissiques, paranoïaques, schizoïdes, obsessionnelles-compulsives, sont souvent si hostiles ou détachés qu’ils sont incapables de collaborer avec le thérapeute. Les relations interpersonnelles étant souvent le problème central chez ce genre de patients, la relation thérapeutique est un des meilleurs champs d’intervention pour le diagnostic et le traitement – champ souvent très négligé dans la thérapie cognitive et comportementale traditionnelle. f. Enfin, la thérapie comportementale et cognitive exige des patients des buts précis pour guider les orientations thérapeutiques. Souvent, les patients porteurs de troubles de personnalité ne peuvent pas remplir cette condition. Ils ont souvent des problèmes vagues, chroniques et envahissants. Ils sont malheureux dans de nombreux domaines de leur vie et ce, aussi loin qu’ils remontent dans leurs souvenirs. Ils estiment, par exemple, qu’ils ont été incapables d’établir une relation amoureuse à long terme, qu’ils ne sont pas parvenus à utiliser toutes leurs capacités professionnelles, ou bien ilstrouvent leur vie trop vide. Ces thèmes de vie très larges sont difficiles à définir en tant que cibles pour la thérapie comportementale et cognitive classique.
Bibliographie
Young, Jeffrey E (2017-10-26T23:58:59). La thérapie des schémas (Carrefour des psychothérapies) (French Edition). De Boeck Supérieur.