La Prière
Partager

Synopsis
Critique lors de la sortie en salle le 20/03/2018
Par Pierre Murat
Il est tout de rage, de peur et de fureur. Il lance des regards éperdus à celui qui, muet, le conduit dans cette communauté catholique isolée dans les montagnes où, il le sait, il va souffrir, mais, peut-être, guérir. Thomas (Anthony Bajon, intense, prix d’interprétation au récent festival de Berlin) a 20 ans, en paraît moins. Il est petit, presque courtaud, visiblement solide, mais usé, déjà, par cette drogue dont il ne parvient pas à se défaire. Celui qui l’accueille dans ce centre dirigé par d’anciens toxicomanes l’avertit : aucun contact avec l’extérieur, plus un instant de solitude. Il ne fera que travailler et prier. Prier et travailler jusqu’à l’absurde, jusqu’à la perte de la conscience de soi. Sous la surveillance — l’aide — d’une sorte d’« ange gardien » : Pierre (Damien Chapelle, extra lui aussi). Thomas craque. Il fuit, se réfugie dans une ferme où une jeune fille, sorte d’apparition céleste dont il s’éprend aussitôt, lui conseille de revenir. De tenir bon. Ce qu’il fait… Sous l’œil attentif de Pierre, il travaille et prie, prie et travaille comme les autres, au point de se croire, à tort, pacifié, de se prétendre heureux, sans l’être vraiment.
Cédric Kahn a souvent peint des jusqu’au-boutistes, bloqués dans la jalousie maladive (Charles Berling dans L’Ennui, 1998), le crime (Stefano Cassetti dans Roberto Succo,2001) ou l’obsession de la paternité (Mathieu Kassovitz dans Vie sauvage, 2014). Mais il ne peignait que des adultes, imbus d’eux-mêmes, qui semblaient buter sur une série d’obstacles invisibles. Thomas est en errance, en déshérence, mais, au moins, il avance. Sans trop savoir où, pourquoi, ni comment : un peu à la manière de la Mouchette de Robert Bresson. Certes, les styles diffèrent : la nature, par exemple, était inexistante ou oppressive chez le vieux maître chrétien, alors qu’elle embrase les films de Cédric Kahn (Vie sauvage et La Prière, en tout cas). Mais tous deux se rejoignent pour peindre les liens invisibles qui circulent entre les êtres et l’obscurité des chemins qui les mènent à la lumière, en cernant, scène après scène, la naissance d’un mystère qui les sauve. Lors d’une excursion dans la montagne, Thomas perd de vue ses compagnons. Il est seul, enveloppé par le brouillard, la nuit et le froid. Un faux pas et voilà qu’il chute interminablement : impossible de se relever, de marcher : son genou est en capilotade. Frigorifié, angoissé, réfugié derrière un rocher, il murmure, sans doute sincère pour la première fois, les mots d’une prière qu’il égrenait, depuis des mois, sans vraiment y croire.
Tout ce qui suit — la foi soudaine et brûlante de Thomas, sa brusque résolution d’entrer dans les ordres — est à la fois essentielle et dérisoire. Tout en l’observant avec une attention à laquelle se mêle une imperceptible ironie, le réalisateur laisse son héros se débrouiller avec ses convictions, ses hésitations et ses illusions. L’important, pour Cédric Kahn, pourrait se résumer à la dernière phrase de Pickpocket, de Robert Bresson : « Oh, Jeanne, pour aller jusqu’à toi, quel drôle de chemin il m’a fallu prendre. » Et le chemin, ici, c’est le rituel. La Prière repose sur les mots, les chants, les gestes, répétés à satiété, qui finissent par libérer ceux qui s’en croyaient prisonniers. C’est moins un film sur la foi que sur la fraternité. Et c’est bien ce qui rend déchirants les adieux de Thomas, en partance vers son destin, à ses compagnons d’infortune, réunis pour lui souhaiter bonne route. A commencer par son « ange gardien ». Les deux jeunes gens s’étreignent longuement, et on devine Pierre un instant accablé de n’avoir pas encore acquis, lui, la force qu’il a su transmettre à l’autre. Mais la vie n’est jamais juste. La foi, non plus.